Le huitième jour du troisième mois de l'an 38,

Chers frères et sœurs, chers fidèles, chers amis, je l'ai toujours clamé haut et fort : si par malheur je n'étais plus en mesure de vous accompagner tous les jours dans votre quotidien, je démissionnerai. Je crois - et ça me fend le cœur de l'avouer - que ce jour est arrivé. Je ne connais aucune formule qui pourrait atténuer ma peine et le caractère abrupt de cette déclaration, mais c'est ainsi. Je vous annonce, avec la plus grande des tristesses, ma démission du poste d'évêque de Hurlevent.

Quand certains souhaitaient être élus à vie, je vous quitte au bout de quatre mois bien remplis. C'est qu'en quatre mois, il s'en passe des choses… des joyeuses, des tristes, des insignifiantes. Je vous l'assure, pour la plupart, vous m'avez fait vivre des émotions de la première catégorie. Mais même si j'aimerais bien l'être, je ne suis pas infaillible. Lorsque l'on éprouve de l'empathie et de la compassion pour des inconnus, on en a d'autant plus pour sa famille. Et c'est cette raison, qui me pousse à faire ce choix difficile. Je ne souhaite pas m'accrocher à ma fonction, restant à déambuler dans la ville, l'ombre de moi-même, faisant quelques apparitions remarquées d'un muret à l'autre… Vous méritez bien mieux qu'un courant d'air.

Suite à cette nouvelle, certains se sentiront soudainement pousser une vocation, quand d'anciennes gloires du passé réapparaîtront. La Cathédrale n'est jamais aussi agréable que lorsqu'on peut s'asseoir sur un siège vide. Eh bien, ceux-là, encouragez-les, soutenez-les ! Ils ont mon entière bénédiction, tant qu'ils prennent la fonction à bras le corps, avec toute la hargne, le cœur et la simplicité que j'ai voulu y mettre. Et mieux encore. Mes détracteurs, ils sont nombreux, souhaiteront néanmoins qu'ils tiennent plus longtemps en poste que moi.

Je n'ai pas l'habitude de me répandre sur ma vie familiale, mais j'ai juré d'être toujours transparent avec vous, ma plume usée en témoigne. Il est parfois plus dur de se confier que d'écouter, cependant, vous devez savoir les raisons de mon départ. Les mots les plus simples sont toujours les meilleurs. La pudeur est une bien jolie chose. Alors, voilà. Skäli, ma femme, est atteinte d'un mal incurable. Mes plus proches amis sont déjà au courant. Son corps retourne à la pierre lentement. Elle ne souffre pas. La Lumière n'y peut malheureusement rien. Ce n'est pourtant pas faute d'essayer. Avant qu'elle ne fasse plus qu'un avec le roc dont on est issus, je lui ai promis de nous installer dans nos montagnes pour qu'elle puisse vivre ses derniers instants avec les siens. Entouré de notre fille, Rinn et de l'ami de la famille, le vénérable Yrstad Briséclair. Ma Foi vacille, comme une bougie sur le point de s'éteindre.

Je ne vous oublierai pas. Vous qui m'avez tant donné, bien plus que de l'or ou de la gloire, vous m'avez accordé votre confiance. Vous avez fait d'un simple curé, d'un nain, un évêque. Même, vous les détracteurs. Vous qui devez vous faire une gorge chaude de cette nouvelle, vous m'avez conféré la force de me battre, de toujours lutter contre l'injustice et la bêtise crasse dont vous faites souvent preuve. Néanmoins, pour être tout à fait honnête, plane sur moi, un sentiment d'inachevé. J'aurai pu faire mieux, oui. Plus vite, plus longtemps. Être plus gentil pour les uns, plus méchant pour les autres. Tout ce que je sais, c'est que j'ai fait de mon mieux. Et j'encourage tout le monde à faire de même. Ne choisissez jamais la voix du pire, du petit ricanement cynique ou des relents nauséabonds de vos peurs.

Je quitterai la ville ces prochains jours, le temps de régler les dernières bricoles avant notre grand voyage vers le nord. Les sommes récoltées par les Compagnons de la Lumière iront rejoindre les caisses de l'Eglise. Pour le reste, l'Evêque Arthur fera, j'en suis sûr un très bon travail. Comme il le faisait déjà, avant que je vienne en renfort. Ne soyez pas trop durs avec lui.

Ayez une longue vie.